David RUDLIN est venu nous présenter ses travaux et recherches en matière d'écologie urbaine. Cette conférence, fort appréciée, mettait en relation ce que nous avions déjà pu entendre et comprendre lors des autres interventions, le passage à l'échelle urbaine, sans laquelle nombre de solutions envisagées ne restent que des "cas d'école".
David Rudlin est le Directeur de la section Nord de l' URBED (the Urban and Economic Development Group). Il est le responsable pour le "Sustainable Urban Neighbourhood Initiative". Il est également l'auteur avec Nicholas Falk de "Building the 21st Century Home" (construire la maison du 21è siècle) Publié en Janvier 1999 par Architectural Press.
Plutôt que de résumer son intervention, je soumets ci-dessous un article, traduit hâtivement, mais qui exprime bien ce qu'il a tenté de nous expliquer.
Autonomie Urbaine
L’échelle urbaine dans une politique environnementale
David Rudlin – Octobre 1999
Pour la plupart des gens, l’architecture ?Ecologique? est un bâtiment d’un style plutôt vernaculaire dans une Arcadie rurale!
Urbanités et Ecologie paraissent antinomiques. Les villes ne sont-elles pas bruyantes, sales, embouteillées, gourmandes en ressources et –même dans l’ère post-industrielle – polluantes. Les villes sont à l’évidence l’antithèse de l’environnement “durable”.
Mais celui-ci est beaucoup plus qu’un “retour à la nature”. Il s’agit de réagir à un siècle au cours duquel, pour prendre un exemple, les émissions de CO2 devront être réduites, non des 12 % convenus à Kyoto, mais de 60 % en 2020 sur la base des niveaux de 1990 si nous voulons inverser l’effet de serre. Nous n’obtiendrons pas ce résultat en construisant de superbes maisons individuelles “autonomes” pour une minorité “branchée”. Pourtant c’est ce que nous faisons. Margrit and Declan Kennedy le signalent dans leur analyse des habitats écologiques en Europe, “Il n’y a pas de déficit d’idées, de projets, de propositions. Mais les exemples réalisés à la bonne échelle -c.a.d. au-delà de la maison individuelle ou d’un petit lotissement de 10 à 20 habitats- sont encore trop peu nombreux”. Pourtant, si nous voulons modifier réellement les schémas de gestions des ressources, nous devons construire pour le plus grand nombre… Et cette population-là est avant tout urbaine !
Pendant les six dernières années, URBED a pratiqué une recherche suivant les propositions de SUN pour une recherche sur les nouveaux modèles de développement urbains stigmatisant les nouvelles tendances environnementales, démographiques, sociales et économiques. Notre travail en est le reflet mais aussi, nous l’espérons, un guide pour l’Urban Task Force (Groupe d’Intervention Urbain) et devient rapidement un programme qui s’applique en de nombreux endroits du Royaume-Uni. Au cours des deux dernières années nous avons pu pousser cette recherche avec le projet de “l’îlot urbain autonome”, financé par le BRESCU et le programme Européen Altener. Faisant suite au projet du BRESCU précédent suivi par Robert et Brenda Vale sur l’ensemble des recherches menées sur les maisons autonomes. Notre objectif était d’appliquer ces résultats à l’échelle d’un petit quartier ou d’un îlot.
Le Renouveau Urbain
La toile de fond de cette recherche est la notion de " Renouveau Urbain " tel qu’il est défini par le Urban Task Force.
Une des raisons pour lesquelles il y a si peu d’exemples au Royaume-Uni d’habitat urbain durables est qu’a l’inverse de l’Europe nous ne sommes pas très efficaces en matière d’habitat urbain. Comme nous l’avons dit ailleurs, cela date de la Révolution industrielle. Jusqu’alors, les villes et les villages attiraient les populations migrantes et les habitats de centre ville étaient recherchés et “à la mode”.
Cependant, la ville industrielle a inversé ce processus, et provoqué une dispersion de l’habitat “hors ville” qui est toujours d’actualité. Cet exode est le fait des classes moyennes aisées, mais avec l’intervention des promoteurs de la “Cité Jardin”, les urbanistes, les offices municipaux, cette fuite de la ville concerna toutes les classes sociales à l’exception des plus défavorisées.
À part pour la capitale, au XXe siècle la notion de réussite sociale pouvait se mesurer à l’accroissement de la distance entre votre habitat et le centre de la ville. Le résultat est l’apparition de banlieues, mitant la campagne agraire et abandonnant les centres villes au déclin et à l’abandon. La désertification du centre-ville est intimement liée à la prolifération des banlieues- vidé par l’exode des habitants et des investisseurs- habitat forcé de ceux qui n’ont pas les moyens économiques de fuir.
C’est là le destin des villes Anglo-Américaines, ce que Joël Garreau nomme “la croissance urbaine périphérique” (Edge City Growth). Il nous suffit de regarder de l’autre coté de l’Atlantique une ville comme Washington DC, pour voir ce qu’il arrivera si nous laissons faire cette croissance sans la contrôler. Les différents spécialistes reconnaissent de plus en plus l’importance de l’échelle urbaine dans une politique environnementale.
À la fin du XXe siècle, nous constatons une congruence des facteurs environnementaux, démographiques, économiques, et sociaux qui créent le terreau de ce que la “Task Force” a appelé le " Renouveau Urbain ". Afin de participer à ce renouveau, tout en résolvant les questions liées à la gestion de l’environnement, nous avons besoin de définir une nouvelle synthèse entre architecture " verte " et développement urbain. C’est ce que nous avons cherché depuis des années avec “l’initiative pour des quartiers durables” (Sustainable Urban Neighbourhood Initiative)
Environnement durable et culture urbaine
Plus de 50 % des hommes vivent en ville sur cette planète, dont environ 90 % pour le Royaume-Uni. Certains déclarent, comme Herbert Girardet, que bien que les villes soient perturbantes pour l’environnement, c’est un fait acquis, elles font partie de l’histoire de l’homme et doivent, au mieux, êtres réhabilités. Cela est peut-être vrai, mais nous devons garder en mémoire que ce ne sont pas les villes qui créent des nuisances mais les gens qui y habitent.
Quand on voit l’éventail de pollution de Londres, les péniches remplies de déchets pour les décharges, les grandes artères embouteillées par un trafic qui consomme le contenu d’un super pétrolier par semaine, il semble difficile d’imaginer pire en matière de développement urbain. Pourtant Londres abrite 7 millions de personnes et l’on peut sérieusement douter que si cette population était dispersée dans des cités-jardins dans le sud de l’Angleterre l’impact sur l’environnement serait moindre. Même si cette solution était faisable et politiquement acceptable – ce qu’elle n’est pas – et même si chaque famille habitait une " super maison bio-climatique ", l’action sur l’environnement des transports, de la distribution, des infrastructures, des déchets, annulerait les quelques bénéfices environnementaux.
Les zones urbaines ne sont peut-être pas juste un état de l’histoire à gérer, mais au contraire, potentiellement, la forme la plus performante de regroupement humain en termes d’environnement. Quitte à réaliser de l’habitat “vert”, faisons le en ville et non pas isolé à la “campagne”.
Densité urbaine et transports
Une grande partie du débat sur le développement urbain et l’environnement durable est lié au problème des transports. Si dans d’autres secteurs des solutions sont parfois appliquées, en matière de transports, son accroissement continu est devenu une source importante de consommation d’énergie, d’émission de CO2 et de pollutions diverses. Le lien entre le développement urbain et les transports repose sur une étude mené aux Etats-unis et au Royaume-Uni qui montre que plus la densité urbaine est forte et moins la voiture est utilisée comme moyen de transport individuel. Bien que cette étude ait été très critiquée, elle a influencé nombre de gouvernements du monde occidental.
Cependant, s’il est sensé de ne pas construire dans des endroits qui ne peuvent être atteints que par la voiture, l’importance de la densité comme outil réducteur de transport automobile a pu être exagéré. Comme l’a dit Michel Breheny si tous les Anglais vivaient dans des densités équivalentes à celles du centre de Londres, nous pourrions réduire la consommation énergétique de 34 %. Ce chiffre semble improbable. Simplement parce que les transformations des zones urbanisées prennent tellement de temps que les gains en transports sont insignifiants par rapport, par exemple, à une augmentation des taxes sur le carburant. Mais ce n’est pas vraiment le sujet. Il suffit de regarder aux projections futures de l’emploi de la voiture pour s’apercevoir que celles-ci ne sont tout simplement pas “durables”. Il est donc inévitable que leur emploi sera contrôlé, si ce n’est par des taxes ou des règlements, ce sera par le simple engorgement des structures existantes.
Prendre sa voiture deviendra vite si contraignant que les gens choisiront de préférence des habitats bien desservis par les transports en communs et accessible facilement par les piétons. Le développement urbain durable sera sans doute plus facilement obtenu par le changement de mentalité lié à la perte de plaisir dans l’emploi de la voiture que par des aménagements spécifiques de gestion des flux.
Gestion des ressources.
L’usage de la voiture n’est pas le seul lien entre le développement durable et l’urbanisme. Un projet récent du EPSRC sur Swindon montre que les avantages de la compacité urbaine sont de peu de poids devant l’impact de l’augmentation du nombre de personnes par logements. Les consommations des différentes ressources dépendent autant du nombre effectif de logements que de la taille des ménages les occupant. Un logement pour une personne consomme moins qu’un logement pour cinq, mais pas cinq fois moins.
Chaque nouveau logement consomme de l’énergie dans sa construction, son système de chauffage, ses équipements électroménagers. Le résultat est que l’augmentation de la taille des ménages peut alimenter la consommation des ressources même dans une population stable par ailleurs.
Pour réduire cette consommation, nous devons trouver des modèles d’habitats plus performants, autant au niveau des techniques constructives que de vie des familles. Cela implique une meilleure isolation thermique dans une conception beaucoup plus subtile et pertinente autant dans les villes qu’à la campagne. Cependant la ville présente de gros avantages avec ses maisons de ville et ses appartements réduisant le nombre de parois froides, mieux protégés en général et utilisant au maximum les infrastructures existantes.
Gestions urbaines
Il y a deux aspects à la notion de développement durable autonome- La diminution des consommations des ressources et l’emploi de ressources renouvelables. L’habitat autonome tend à utiliser la pluie, le soleil, le vent et à recycler l’eau et les déchets. Ce n’est pas si simple et implique un habitat extrêmement performant.
Ce qui nous a amené à nous interroger si cet équilibre n’était pas plus facile à obtenir à l’échelle d’un îlot ou d’un petit quartier plutôt qu’à celle d’une maison individuelle.
La gestion urbaine permet d’être plus rentable en matière de recyclage essentiellement par la quantité recueillie, rentabilité également de la collecte des déchets ainsi que d’un plus grand marché pour les matériaux ainsi recyclés. Un grand nombre d’exemples montre la pertinence ou la gestion urbaine se rapproche des techniques d’autonomies énergétiques.
On pense en premier au partage des coûts d’infrastructure, pour par exemple, un système de traitement d’eau, d’une éolienne, ou d’un système mixte, entre un grand nombre d’habitats, améliore notablement les ratios entre les performances et la rentabilité.
Les zones urbaines, si elles sont mixtes (habitat/travail) peuvent aussi participer à un écrêtage et a une “normalisation” des consommations évitant ainsi les pertes et simplifiant les problèmes de stockage. Ces techniques appliquées à ces échelles permettent également de traiter ces services sur placet, s’adaptant à la demande locale, permettant aux usagers d’avoir les avantages économiques d’un habitat autonome” sans en supporter de même manière le coût d’installation et d’entretien.
Notre travail montre que les solutions envisagées permettent un gain de moitié dans les zones urbaines mixtes. Il est sûrement possible de faire mieux, mais en fonction de notre expérience, les surcoûts et les difficultés technique vient obérer les améliorations au-delà de ce chiffre. Cela implique que pour l’autre moitié de ses consommations, un quartier devrait se raccorder à des systèmes d’énergies renouvelables intégrés à la ville. Ce n’est pas réalisable pour l’instant mais les exemples qui suivent montrent que cela pourrait être le cas dans un futur proche.
Une énergie locale
L’essentiel des travaux sur la maison performante s’est fait au niveau de la thermique. A un tels point que ces habitats, super isolés ne nécessitent plus de systèmes de chauffage, encore que la vie n’y est pas forcément d’un confort total, et d’autre part, reste la question de l’eau chaude sanitaire. Cependant, à l’échelle du quartier nous pouvons imaginer des stratégies qui combinent la performance de l’isolation avec une augmentation de la performance dans la production de l’énergie.
Une des réponses a été les systèmes de chaudières dites de co-génération permettant à la fois une production de chaleur et d’électricité. Cette expérimentation à l’échelle de l’îlot urbain ou du quartier est en cours. Ainsi un quartier entier est desservi par un chauffage urbain avec pour chaque usager un compteur individuel. Ce réseau mis en place permet d’adapter ou de permettre une évolution du système de production de chaleur ce qui ne serait pas possible avec des chaudières individuelles.
Ainsi on peut imaginer des variations sur le carburant des chaudières de co-génération (par exemple l’emploi de la biomasse ou encore de l’hydrogène issu de l’énergie solaire), le préchauffage de l’eau (avec du solaire passif, du géothermique) ou encore de nouvelles technologies (piles à combustibles). Le choix dépend des conditions géographiques et des ressources locales, mais dans tous les cas le quartier n’est plus dépendant des énergies fossiles et tends vers l’émission-zéro de CO2.
D’autres approches peuvent intégrer des technologies plus efficaces mélangeant chauffage solaire et production d’énergie, éoliennes intégrées avec l’architecture, dans l’objectif de rechercher la meilleure relation entre la forme bâtie et le micro-climat obtenu comme le montre le travail du “Martin Centre” avec Future Systems sur le Projet ZED. Dans ce cas, la conception architecturale a permis d’augmenter les vitesses de vent localement ainsi que d’accroître les surfaces nécessaires à l’énergie solaire.
L’eau et ses effluents
L’eau est un des arguments importants de l’économie d’énergie, d’abord par sa rareté dans certaines régions mais aussi à cause de l’énergie produite pour purifier l’eau, gérer les impuretés et bien sûr pour la chauffer pour l’aspect sanitaire. Une économie substantielle peut-être obtenue en régulant les consommations usuelles au moyen des appareillages sanitaires comme le prévoit les règlements Anglais.
Avec l’habitat autonome, il est possible d’employer des lits de roseaux pour traiter l’eau, ce qui n’est guère envisageable en milieu urbain. Cependant, nous avons calculé qu’à Manchester (qui a la réputation d’être une ville pluvieuse) la quantité des eaux de pluie recueillies sur l’année et sur un quartier dense est supérieure à la consommation annuelle du même quartier dense. Il est également possible d’utiliser une machine vivante, une centrale biologique de traitement des eaux dans une serre pour traiter les eaux usées et faire face aux besoins d’eau “grise” du quartier. Bien que ces expériences semblent extrêmes, nous travaillons avec des sociétés comme Enviro-Logic, sur le point d’être agrées par l’OFWAT pour fournir de l’eau et traiter les eaux usées d’un quartier à un coût moindre qu’avec un système conventionnel.
Des voitures à disposition
L’emploi de voitures est un autre exemple d’un changement d’attitude vis-à-vis de l’environnement durable. Nous avons constaté que la densité urbaine avait un impact limité sur l’emploi de la voiture. Pourtant les coûts d’exploitation d’une voiture ne cessent d’augmenter, ainsi que les charges fixes stationnement et taxes. Dans le centre de Manchester ou de Leeds, une place de stationnement coûte plus de 1000 Livres par an (et bien plus à Londres). Alors que, dans ces villes, il est plus pratique d’utiliser les transports en commun ou de marcher.
La voiture devient un luxe plus qu’une nécessité. Il devient alors plus intéressant de disposer d’un parc de location de voiture bien organisé et adapté. Louer une petite cylindrée pour des trajets périphériques, une grosse berline pour des voyages importants et des camionnettes pour certains travaux, semble plus efficace et coûte beaucoup moins cher que d’être propriétaire d’un modèle unique. De plus, le coût réel de chaque transport est lisible et prête à la réflexion sur l’opportunité d’un tel moyen de transport.
Avec la participation des majors de location de voitures, un tel parc pourrait être disponible dans une grande diversité de choix possible et surtout d’efficacité. Loin d’être impossible, cette notion est en cours de discussion pour un promoteur national qui souhaite en faire un argument de vente pour un projet important de centre urbain à Manchester. L’existence d’un tel parc de véhicules, permets également d’utiliser des voitures électriques ou à piles à combustibles. PowerGen par exemple finance la recherche sur des accumulateurs à charge rapide pour voitures et ZEVCO travaille sur l’infrastructure nécessaire à l’emploi de taxis londoniens alimentés par des piles à combustibles. Dans un future proche les combustibles pour ces véhicules pourraient être produits localement (hydrogène, éthanol, méthanol) ou bien, comme le montre une étude américaine, avec les accumulateurs des véhicules servant de stockage pour les énergies renouvelables et leur revente au réseau national et les piles à combustibles utilisés comme générateurs d’énergie mobiles.
Il ne s’agit là que de trois exemples, mais beaucoup d’autres solutions sont à envisager sur les thèmes du tri des ordures ménagères, le recyclage, les appareils d’électroménagers, la distribution alimentaire, etc.
Ces exemples montrent avant tout qu’en élargissant la problématique à l’échelle urbaine le débat sur l’environnement durable devient plus réaliste. Toutes les solutions obtenues sur les maisons individuelles deviennent rentables dès que l’on passe à des notions de réseaux et de services collectifs avec systématiquement un plus grand choix de réponses et une performance optimisée. Les décisions, la gestion, les consommations se font au niveau local, provoquant ainsi des emplois nouveaux tout en générant une attitude plus citoyenne.
Il ne sera sans doute jamais possible de rendre un quartier totalement autonome dans le sens de la maison autonome de Robert et Brenda Vale. Cependant il est tout à fait envisageable dans un futur proche d’obtenir des quartiers urbains ou les ressources sont gérées sur un schéma circulaire plutôt que linéaire et ou son impact sur l’environnement est neutre, sinon même positif.
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