- © Critiques d'Espaces de Jérôme AUZOLLES - Rubrique "Interviews" -
Quelques pas sous une pinède, près de Cannes,vers un dîner de gala de congres, (faut-il un accent ? )
Le Ricolais, Un vieux Français célèbre ailleurs, sa femme et moi, un quadra inconnu.
Fasciné par ce maître du tendu-contraint et de l'équilibrium, je l'interroge sur ses recherches avec Bukminster Fuller, ces dômes géants que j'admire sans les connaître encore. Simplement, il m'explique que tous ses efforts se concentrent sur les radiolaires, ces structures molles si fines et si résistantes. Ma rigueur d'alors s'étonne.
Plus tard, je compris.
Initié par Henry DELEKTA aux jeux des polyèdres, je trouve des structures internes orthogonales comprimées par des enveloppes tendues.
J'assemble des tas de cubes sans colle par des arêtes élastiques et je rêve bê(a)tement à des cités funambules.
Je trouve aussi que les nombres entiers sont bien plus intelligents que les irrationnels et m'offrent des géométries complexes et rigoureuses, sauf pour l'ami Henry, ingénieur, voué à la plus longue et inaccessible décimale.
Une virgule nous sépara.
Digression 1 : Mais il m'avait appris aussi les déboires de Buck à Montréal :
Les gerbes de tubes livrées sur le chantier étaient mal étiquetées et au montage le dôme sortit de l'épure en tous sens.
Il fallut tout renvoyer en usine pour quelques dixièmes de millimètres, l'étalonnage étant impossible sur le tas.
Encore plus tard, j'ai compris que la tentation du polyèdre pour la sphère est aussi impossible que le calcul de PI, cette rupture, par les polygones.
Digression 2 : C'est la même erreur Corbusienne avouée dans le Modulor II,
s'emmêlant dans les sauts de décimales au couvent de Tourettes, le clocher a une faute d'aplomb et de parallélisme, le maçon étant perdu dans les cotes.
Enquête faite à la FONDATION, la correspondance révèle une vive opposition entre l'architecte et les moines.
Selon eux, il ne serait venu qu'à l'inauguration.
Cette oeuvre est pourtant admirable, mais je me demande si ce "clocher" en forme de poing levé ne s'oppose pas à la "main ouverte" symbole de Chandighar. Et enfin, je sais qu'on peut faire de superbes Géodes vides, ( bravo Félix ) mais que l'Usage impose de déformer ces géométries captivantes pour les rendre humainement Habitables.
Il faut tirer sur les élastiques et sortir des épures !
Digression 3 : Dans un bon docucu télévisé, on apprend que Ioming PEI, un grand bonhomme indiscutable, n'a rencontré le TRIANGLE que très tardivement à l'occasion d'un projet de musée.
On comprend mieux son choix des losanges, donc instables, pour la pyramide du Louvre pourtant de faibles dimensions.
Les ingénieries ( 3 dit-on ) ont alors superposé et surenchéri, honoraires compris, en s'imposant mutuellement des accastillages superfétatoires et contradictoires selon les bons spécialistes, Esthétique hyperstatique ou post-techno-logique ? (Supposition strictement personnelle que je n'impose pas.)
Il ne suffit pas de dialoguer, encore faut-il écouter,puis mettre en mémoire et attendre d'intégrer, de mûrir.
NEGROPONTE 1972 ?
A l'institut de l'Environnement d'alors, une douzaine de "pros"en petit séminaire d'une semaine autour de Negroponte de passage à Paris qui cherchait, paraît-il, une tête de pont en Europe.
Ce maître du M.I.T. nous entraîne en Heuristique ou Euristique (je préfère malgré Larousse ) puisque c'est la bonne recherche.
Il nous étonne (et agresse certains) en affirmant sa conviction d'un développement fulgurant des intelligences artificielles.
Il nous projette ses films de robots reconstruisant selon leurs lois propres des piles de cubes renversées par des séismes aléatoires et inventant à chaque nouvelle cata un ordre nouveau.
Cet auto apprentissage semblait à la limite admissible.
Les logiques se discutent, laissant à l'Homme le CHOIX.
Mais la provocation devint inacceptable quand il nous conta ceci :
Dans son Labo du M.I.T. il y avait 12 portes et 12 personnes.
D'où l'idée de brancher chaque poignée sur le computeur central.
Peu de temps après, celui-ci disait "Bonjour" monsieur ou madame X sans se tromper puisque chacun a sa manière de prendre la poignée.
Peu après encore, il pouvait dire "Pas en forme, ce matin ?"
Une "intelligence" de la mémoire, c'est dur à avaler,mais du sensible en plus ! Que nous resterait-il ?
Il est reparti, déçu, je crois, et je ne l'ai plus rencontré. Dommage.
Comme Abraham Moles qui exposait le "Comportemental",sa théorie des multiples et infimes décisions à prendre pour le moindre geste, alors que nos grands choix sont irréfléchis.
Dans ma tête, ils s'expliquent l'un par l'autre et quand la complexité me dépasse, je compte bien sur mes pulsions.
Le "bon" parti architectural procède d'algorithmes et de folies,ou plutôt de "PUSH and PULL" dans cette escalade.
Dix ans avant, je rêvais d'un computeur partenaire quand je butais sur l'ingratitude des tâches et la maîtrise de l'oeuvre.
Dix ans plus tard, j'ai eu mon premier ordinateur perso, et j'ai dû alors nous apprendre à programmer et à lui transférer une part de mes activités, dessiner, projeter en 3D parties cachées, etc. et même à écrire car les traitements de texte étaient débiles.
L'outil me rend la main et l'oeil que l'âge atteint, il compte juste,il me montre ce que les plans me cachent et parfois me fait rêver.
Quinze ans plus tard, j'en suis à ma dixième machine qui n'en fait qu'à sa tête car des programmeurs fous lui imposent n'importe quoi pour satisfaire n'importe qui, me laissant une lourde maintenance qui bouffe mon temps que je croyais libérer.
ANTTI LLOVAG
On se retrouvait par hasard ou par envie Pour faire la fête, comme à l'école, quand on savait rire et où on avait rien de mieux à apprendre.
1969, Retrouvailles à Cannes où je suis parachuté sans filet meneur de débat (à la cata) en vidant l'estrade pour jeter les illustres trop connus au milieu de la foule et la houle dans la salle bondée du Palais des festivals au congrès "Construction et Humanisme".
Nous revendiquions l'"architecture insurrectionnelle" avec Chanéac qui devait recevoir le " NOMBRE d'OR " (!) premier Grand Prix International d'Architecture, Maymont, seul Patron d'atelier voulu par les élèves après 68, les Hausermann, mari et femme, pondant leurs "oeufs" en montagne,d'autres restés méconnus, hélas, et Antti Llovag
Il venait de quitter Jacques Couëlle et se lançait seul, pour faire tout lui-même, de ses mains.
Il trace et terrasse une longue route sur la colline dominant Tourrettes sur Loup, creuse en premier la cave et la remplit,avec goût ! pour les copains.
Après le bulldozer, il ferraille des ronds à béton car un cercle s'inscrit toujours quelque part sur une sphère, et il bulle ! Un tas de bulles foisonnantes qu'il polymérise en crachant des mortiers bien gâchés.
Il façonne, intègre le mobilier revêtu de mosaïques de marbre,de bois ou de peaux, cousu main !
Il accroche une cheminée à son tuyau flexible en inox afin de la tirer pour retourner la grillade sans quitter la table !
Ça peut durer des années, il n'en finit pas de finir.
Vu son client lui demander " Où en suis-je ?"
- " le fric, c'est pas ton problème " - "OK".
Au village, il est le maître du bistro dont le patron a ordre d'accueillir les amis (choisis) chaleureusement!
Puis, c'est la descente sur la côte pour bâtir une maisonnée familiale de 1000 mètres carrés, au moins, en 7 ans.
Ni plan, ni permis de construire puisqu'il ne sait pas ce qu'il va faire ni dessiner l'informel et le gestuel inspiré (logique, non ?)
À l'inauguration, le préfet et un tas de notables " au fait, c'est magnifique ! nos services vous donneront le permis "
Les services découvrent qu'il n'y a pas de couverture en tuile canal et en imposent un quantum conforme au "cahier des charges".
Scrupuleusement, Antti achète le matériau et le balance au hasard sur les dômes en béton, et convoque le préposé qui s'effondre.
Aussitôt retirées, l'archi retrouve son sourire puisque tant il est vrai que "les petites tuiles font les grandes catastrophes " .
Après de lentes libations et de longues bouffes qu'il prépare et sert lui-même, sur sa table en marbre au plateau central tournant pour servir,quelques mots au coeur de la nuit.
Peu sur un vécu d'ancien combattant inter armées ennemies, mais des visions perçantes de pilote de guerre d'architectures. Il récupère des tôlards et des paumés culturo-sociaux des écoles d'archi pour leur transmettre par osmose l'Art de faire vivre le Bâti.
Coincé chez moi par les ans, on ne se voit plus.
Peut-être me reproche-t-il ma période officielle quand les institutions me confiaient missions et contrats de recherches conventionnelles ?
Mais un autre ami, Vladimir Mauzit, 78 ans, fait le lien.
Fou de bambous, il vole d'Asie en Russie pour porter ses P.H. au secours de détresses, comme maintenant en Amérique centrale.
Il doit les monter lui-même, car les colloques auxquels il est convié ne rassemblent que beaux parleurs inaptes aux actes.
Nos trop rares rencontres sont faites de silences complices, sachant que nos idées en l'air finiront par se poser,là ou ailleurs, sans paroles inopportunes.
le 29 novembre 1998
Guy Perrouin.
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